Cerveau en ligne de mire, Témoignages de quelques experts français & internationaux de l’Intelligence Artificielle
L’intelligence artificielle fascine, aide, simplifie — mais elle inquiète aussi les plus grands esprits du moment. Et quand ceux qui la conçoivent tirent la sonnette d’alarme, il y a de quoi tendre l’oreille.
Sam Altman, le PDG d’OpenAI, avoue lui-même s’inquiéter de la dépendance croissante des jeunes à ChatGPT. Il parle d’une relation « néfaste et dangereuse » où « certains adolescents finissent par considérer le chatbot comme un ami, un coach de vie… ou pire, un décideur ». Lors d’un forum de la Réserve fédérale américaine, il a mis en garde contre une « prise de décision passive » qui altère peu à peu le jugement personnel.
Lorsque l’on voit la fréquence avec laquelle « Certains jeunes voient ChatGPT comme un meilleur ami » et que l’on prends en considération le discours des experts, la question de la vigilance et de l’éducation quant à l’utilisation des LLM est absolument indispensable
Pour Altman, la question n’est pas de diaboliser l’IA, mais d’apprendre à vivre avec sans s’y soumettre. Il insiste : les enfants d’aujourd’hui ne seront peut-être jamais plus “intelligents” que l’IA — mais ils devront apprendre à l’utiliser intelligemment.
Altman, avec un brin d’humour, reconnaît d’ailleurs utiliser ChatGPT “constamment” pour des conseils parentaux concernant son propre bébé. Même les créateurs d’IA, visiblement, n’échappent pas à la tentation de la délégation cognitive…
Mais selon lui : « le vrai danger immédiat ne vient peut-être pas de l’IA elle-même — mais viendrait du rythme effréné des vidéos courtes et des réseaux sociaux, qui détériorent la santé mentale des jeunes encore plus vite. Le flux continu, la dopamine en boucle, le “scroll” infini» : voilà ce qui, à ses yeux, épuise le cerveau bien avant ChatGPT.
L’IA, ce bonbon numérique qu’on peut avaler à toute heure
Laurent Alexandre, ce chef d’entreprise, conférencier auteur neurobiologiste et multi entrepreneur, parle d’un phénomène aussi fascinant qu’inquiétant : « à force de tout déléguer à nos outils numériques, notre cerveau s’endort doucement ». Dans sa chronique Lobotomie numérique : l’IA pense, notre cerveau collapse (Trends-Le Vif), il écrit :
« On met des sommes folles pour éduquer l’IA et on ne met pas du tout de moyens pour éduquer le cerveau de nos gamins. C’est scandaleux, honteux, mais surtout suicidaire. »
Selon lui, le danger n’est pas que les machines “pensent” à notre place, mais qu’on leur laisse trop volontiers cette place. Moins on fait travailler notre mémoire, notre attention, notre raisonnement — plus on risque une forme d’atrophie cognitive.
Les notifications, le multitâche, le réflexe d’ouvrir une appli au moindre vide : tout cela fragmente notre capacité d’attention. Notre cerveau, autrefois conçu pour explorer et réfléchir, devient un spectateur.
« L’IA pense, notre cerveau collapse. »
Alexandre plaide pour une éducation cognitive digne de ce nom : apprendre à résister, à s’ennuyer, à penser sans assistance. Bref, muscler l’esprit comme on entretient un corps.
Pourquoi il va falloire apprendre à décrocher
Le neuroscientifique américain Dr. Daniel Amen, spécialiste du lien entre cerveau et comportement, explique depuis des années comment la surexposition numérique altère la santé mentale. Dans plusieurs interviews et conférences, il évoque la “fatigue neuronale” liée aux flux constants de stimulation.
Selon lui, le cerveau humain n’a pas évolué pour gérer un déluge d’informations en continu. Chaque notification, chaque scroll, chaque requête envoyée à ChatGPT active les circuits dopaminergiques du plaisir et crée une boucle d’habituation. Résultat : concentration en berne, anxiété accrue et perte du sens du réel.
Amen appelle cela le “syndrome du cerveau distrait”.
Il ne s’agit pas de rejeter la technologie, mais de comprendre qu’elle modifie nos circuits émotionnels et attentionnels. Et que, sans pauses ni discipline, elle peut grignoter notre capacité à ressentir, réfléchir, décider.
Quand le cerveau ralentit : l’alerte scientifique
Dans un épisode du célèbre podcast Anglais The Diary of a CEO, diffusé au mois d’août 2025 et cours duquel le Docteur Daniel Amen était invité à côté du Docteur Terry Sejnowski (Pionnier en neuroscience & influence des modèles mathématiques, algorithmique et influence sur le fonctionnement du cerveau et du système nerveux).
Au cours de cette interview, un chiffre a fait l’effet d’une bombe : « une étude du MIT aurait observé une baisse de 47 % de l’activité cérébrale chez les personnes écrivant avec l’aide de ChatGPT, comparées à celles qui écrivaient seules sans assistance IA. Leur mémoire immédiate s’en trouvait aussi diminuée. »
“Si vous utilisez ces grands modèles linguistiques pour aller plus vite, votre cerveau ralentira. Cela ne fait aucun doute”, Ce sont les mots utilisés par le Docteur Amen lui-même.
Ce constat rejoint celui de nombreux chercheurs : à force de laisser la machine compléter nos phrases, organiser nos pensées et planifier nos actions, on réduit la plasticité cognitive — autrement dit, notre capacité à créer de nouvelles connexions neuronales.
Et pour les plus jeunes, le risque est double : moins d’effort mental, plus de fatigue attentionnelle. Un peu plus tard au cours de l’interview, le scientifique Américain ajoute “Nous avons, dans toute l’histoire de l’humanité, la génération d’enfants les plus mal en point à cause des smartphones et des réseaux sociaux”.
L’IA ne s’arrête jamais — et c’est bien le problème
Geoffrey Hinton, considéré comme le “parrain de l’intelligence artificielle”, a lui aussi quitté Google en 2023 pour alerter sur les dérives possibles. Il explique aujourd’hui que les réseaux neuronaux apprennent à une vitesse et à une échelle impossibles pour le cerveau humain.
“Dès qu’un modèle apprend quelque chose, tous les autres le savent. Les humains, eux, ne peuvent pas faire ça.”
Les modèles d’IA analysent des milliards de données, repèrent des tendances invisibles à l’œil humain, et répliquent instantanément ce savoir. Cette puissance d’apprentissage illimité fascine autant qu’elle inquiète.
Pour Hinton, il faut désormais s’interroger : “quelle place reste-t-il à l’humain dans un monde où la machine ne se repose jamais ?”
Et si on appuyait sur “pause” ?
Maxime Fournes, un ingénieur IA français et fondateur de la branche française de Pause AI (mouvement politique mondial fondé en 2023 aux Pays-Bas), dans une tribune sur Futur Proche, résume le paradoxe de notre époque :
“Quand on construit un pont ou un gratte-ciel, on exige des garanties de sécurité de 99,999 %. Avec l’IA, nous construisons le projet le plus impactant de l’histoire de l’humanité, et les experts en sécurité nous disent : ‘Nous avons entre 10 % et 90 % de chances que tout s’effondre.’ Et nous continuons à construire.”
Ce n’est pas une prophétie apocalyptique — c’est un appel au bon sens. Avant de laisser l’IA s’immiscer dans nos cerveaux et nos décisions, prenons le temps de penser à ce qu’elle transforme en nous.
L’IA ne dort jamais. Et si nous voulons rester éveillés — au sens cognitif, émotionnel et humain du terme — il va falloir réapprendre à garder la main.
Pas pour freiner le progrès, mais pour qu’il reste à notre service.
L’enjeu n’est pas de craindre la machine.
L’enjeu, c’est de ne pas lui céder notre attention, notre curiosité, ni notre capacité à penser par nous-mêmes.
🧠 Faites le test
Avant de refermer cet article, prenons un instant.
Vous utilisez peut-être ChatGPT, Copilot, ou d’autres assistants IA plusieurs fois par jour.
Pourquoi ne pas tester en live votre propre “muscle cognitif” ?
Prenez une feuille et un stylo.
Sans assistance, rédigez un simple texte :
-
un email professionnel,
-
un court article,
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une dissertation ou un résumé de cours,
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ou même un compte rendu de réunion.
Puis observez.
Combien de temps cela vous prend-il ?
Est-ce toujours aussi fluide ou laborieux ?
Avez-vous du mal à trouver vos mots, à structurer vos idées ?
Ce petit exercice n’a rien d’un test académique.
C’est un miroir de la dépendance qui est en train de se créer.
Un moyen de mesurer à quel point l’écriture, la mémoire et la concentration — normallement naturelles — pourraient s’émousser lorsque la machine pensera complètement à notre place.
L’objectif n’est pas de se priver d’IA, mais de réapprendre à réfléchir sans béquille.
Car si l’IA ne dort jamais, notre cerveau, lui, a besoin de rester éveillé — vraiment éveillé.
🔗 Sources
- Trends – “Lobotomie numérique : l’IA pense, notre cerveau collapse” – Laurent Alexandre
- MIT Sloan – Why neural net pioneer Geoffrey Hinton is sounding the alarm on AI
- The Economic Times – Sam Altman concerned by young people’s over-reliance on ChatGPT
- The Diary of a CEO – Dr. Daniel Amen (YouTube)
- Futur Proche – “Pause IA avant qu’il ne soit trop tard” – Maxime Fournes
